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Préface de Philippe Grimbert

EXTRAIT du livre:

L’aube. Le soleil se lève et des milliards de culs se lèvent aussi. La vie matinale tourne autour d’un orifice. On va commencer la journée en mettant déjà un peu sa merde. Les toilettes se ferment de l’intérieur, se referment sur notre moi-même, concentré sur une seule chose, l’exonération. Quel bonheur ! D’abord péter plusieurs fois, sèchement. Obligatoire. Puis un vent continu et moins bruyant et derrière ce dernier cri le premier excrément, un peu sec, qui a passé la nuit dans le rectum. Enfin des choses plus fines et plus molles amenant une tout autre odeur. Drôle d’aube. Un jour nouveau commence dans le parfum de décomposition de la matière. On s’essuie, on se lève, on scrute l’intérieur de la cuvette. Le petit bouton pressé, au-dessus du réservoir, libère le flot sonore de l’eau longtemps retenue. Un coup de balai pour enlever les traces colorées sur la porcelaine. Un peu de liquide bleu pour traquer les microbes. Enfin un coup de bombe pour masquer ce mélange d’odeurs que même, en été, la fenêtre ouverte ne parvient pas à laisser s’enfuir. Belle journée. Je viens de dire bonjour à la vie. Je m’appelle Albert Ducreux. On s’en souvient facilement. D’abord, à l’école : – Vous, Ducreux, par exemple, qui portez bien votre nom, vous pourriez répéter ce que je viens de dire ? Il avait fait de l’esprit, le con. Il s’appelait Archibald Matamore. Avec son nom, j’aurais aussi fermé ma gueule. Les coliques ont commencé à cette époque. J’avais sept ans. Je restais de longues minutes à écouter le lent cheminement d’une douleur, d’abord sourde puis brûlante progressant le long de mes boyaux. Je contractais longtemps l’ultime orifice. Je savais qu’à l’intérieur, il n’y avait rien de consistant. Je levais le doigt. – M’sieur, M’sieur, je peux sortir ? Il me regardait de son œil torve. J’avais l’impression qu’il lisait au travers de mon corps le conflit noué entre le petit déjeuner du matin et mes tripes. – Vous attendrez l’heure de la récréation. Le sort en était jeté. J’allais une fois de plus me chier dessus. Liquide puant, traversant d’abord ma culotte « Petit Bateau » puis imbibant le tissu laineux de mon pantalon. Je pleurais. Le programme suivant était écrit d’avance. Mon plus proche voisin se pinçait le nez en hurlant : – M’sieur, m’sieur, ça pue, ça pue. Toute la classe sur l’air du pin-pon des pompiers reprenait en chœur « ça pue, ça pue ». Honteux et merdeux je me levais pour suivre la direction du doigt vengeur de Matamore qui m’indiquait la porte. Ah ! Cette cour de récréation. Je la retrouvais avec bonheur. Une rangée de petits cabinets, presque clos par une demi-porte laissant passer vers le bas une souveraine aération. Nettoyés le matin, ils sentaient encore l’eau de Javel. Je pouvais enlever les chaussures pour baisser mon pantalon. Les dégâts n’étaient pas irréparables. Je retirais le slip par la même occasion et les deux pieds posés sur le bord de la cuvette à la turque, je poussais. Après les quelques pets habituels, tout le flot de mon" "dérangement venait tigrer le réceptacle. De la joie. Je baissais un peu la tête pour regarder entre mes jambes et humer les effluves de ma liberté retrouvée. ''Qu’elle sent bon notre propre merde ! J’avais, pour moi, à cet instant, un amour quelque peu excessif. La vie tournait bien autour du trou du cul. Toutes ces manifestations ont commencé, le jour de ma naissance, en 1938, cet âge où l’innocence est encore un vêtement relativement pur et trop large pour être souillé par les questions existentielles. Bien sûr, ne sont présents, qu’à l’état de souvenirs" "racontés, les premiers résultats de l’absorption des « blédines » et des laitages. Les premières expulsions sont vécues, par un entourage admiratif, comme des cadeaux : – Oh ! Il a dû nous faire encore un beau caca. Viens, mon amour, je vais te changer. Nous voilà, le cul à l’air. On se laisse tranquillement décoller d’une paire de fesses un peu rougies la garniture, qui dans l’instant d’avant faisait doubler l’importance de notre arrière-train. Premiers émois sensuels dans ce tripatouillage tiède. Que de précautions prises sur cette table à langer, table à démerder, à contempler la couleur, la consistance de ces matières fécales. – Qu’elles sont belles. Tu nous as fait un beau caca. Cette nauséabonde constatation finit dans la poubelle refermée précipitamment pour que le chien, si l’on n’y prend pas garde, ne cherche à en bouffer une partie. Un nouvel emballage vient clore l’incident jusqu’à ce que la prochaine tétée ne reconstitue, après une digestion plus ou moins longue, le contingent suivant. Pipi, caca. Ça va nous faire des souvenirs pour chaque jour de notre vie. Allez savoir pourquoi, je suis arrivé le premier à la porte de l’ovule. Il en faut de la chance pour un jour exister. La chance d’un spermatozoïde sur cinq milliards. Dans la fusion intime de mes parents, ce jour-là, le destin m’avait souri. À partir de là et jusqu’à ma naissance, rien dans ma mémoire. Même en fouillant bien les méandres d’un inconscient prénatal, il ne m’est apparu aucune image aquatique.'' Je devais donc sortir par là même où j’étais entré neuf mois plus tôt. Il y avait dehors de la lumière. Je suis arrivé dans le monde des êtres à respiration pulmonaire. Un premier cri annonça le déploiement de mes alvéoles, une première grimace pour regretter déjà la chaleur humide et aqueuse de l’aquarium abandonné. Deux couilles, une toute petite bite, permirent à l’entourage médico-gynécologique d’affirmer : – C’est un garçon. – Et vous allez l’appeler comment ? – Albert. Le sort en était jeté. Je n’eus conscience, que beaucoup plus tard, du fonctionnement de cette usine à merde. J’ai très tôt pensé au magma plus ou moins compact, transitant journellement dans nos conduites intérieures. À un moment ou un autre il devait être expulsé. J’imaginais le poids et l’importance d’un individu, normalement constitué, accumulant, au fil des jours les tonnes d’excréments métabolisés par notre usine interne. J’ai assez vite trouvé merveilleux le fonctionnement de cette cuisine invisible, gérée par des millions et des millions de bacilles, tous plus difficiles les uns que les autres, à identifier et demeurant « troglodytement » parlant dans notre monde secret. Je me suis rapidement contemplé, comme un entrelacs de tuyaux et de réservoirs, constituant une incroyable usine à trier, détruire, digérer, métaboliser le monde extérieur. Et puis, ces chevauchées avançant tantôt tranquillement, coulant des jours paisibles jusqu’à la dissolution finale. Lovées, benoîtement, dans toute la largeur des conduits, avant de s’échapper, au cours de poussées successives et vigoureuses, pour terminer leur route, par un ploc, humidifiant délicatement la partie postérieure de notre corps, avachi sur la lunette. Parfois serpentant, tel un ruisselet de printemps, dans un gargouillis à peine perceptible, et venant éclabousser, d’un seul coup la cuvette, comme un orage d’été. Et cette aube toujours recommencée autour de ces préoccupations matinales...........

Artiste complet Jacques Roure est né là Marseille. Parolier, metteur en scène, réalisateur français, peintre....Il joue de tous ses talents a signé des chansons pour des artistes de premier plan comme Serge REGGIANI, LIO, Alice DONA, Michel TORR....etc. Son film Casse-Cache (30 min), reçoit un accueil très favorable (Prix de la ville d’Aix-en-Provence, Prix de la ville de Bordeaux au National de la Fédération Française de Cinéma et de Vidéo) et est diffusé sur France 2. En 1987, il a créé, avec son frère Georges et Jean-Marc Vidal, le Théâtre de la Fonderie à Aix-en-Provence.

https://pariscotedazur.fr/archives/article/6312

https://www.babelio.com/auteur/-Jacques-Roure/526539

http://rainfolk.com/2020/02/recit-histoire-passe-leve-aube-jacques-roure.html

https://www.netgalley.fr/catalog/book/176159

EXTRAIT de la chronique :

L’écriture de l’auteur est pétillante, parfois un tantinet insolente, presqu’irrévérencieuse lorsqu’elle évoque des sujets que l’on a l’habitude de taire. Mais c’est amusant, plein de fantaisie, d’une forme de poésie et assorti d’un vocabulaire d’excellente qualité. Le rythme est soutenu, on voit se dérouler la vie d’Albert et on a du plaisir à suivre ses pérégrinations.

https://wcassiopee.blogspot.com/2020/10/le-passe-se-leve-laube-de-jacques-roure.html

https://www.partagelecture.com/t26903-roure-jacques-le-poids-du-passe

 http://alecoutedeslivres.over-blog.com/2020/11/le-livre-du-jour-le-passe-se-leve-a-l-aube-4.html?fbclid=IwAR3iYTtwUTTN1O5u0UT_uko-h_8xmAiYP_zptx3hth4g8h_QFDiR2F4aruU